SERIE III - SISYPHE
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Né en Suède au début des années 70 et tarabusté aux quatre vents droit à l’alambic, Patrick Strajnic promène le beau monde en dandy infrangible à la recherche d’une esthétique débarrassée d’inutiles convictions.
Une histoire flanquée à l’encre sur ses bras de boucanier, car grandir entre deux eaux c’est mener dès le début sa barque à contre-courant avec une rame fendue dans les torrents d’un mal de siècle hâtif. Un itinéraire de jeunesse sur trois pays qui l’emporte au grand large d’une déferlante artistique. Le compas sensible, qu’un second cycle en design graphique berne pour une terre de fausses promesses créatives, le dirige ensuite pour dix-sept années dans les Bermudes de la publicité. Mais d’un esprit musqué que le dégoût turlupine, réussir sans aimer ne provoque en lui que spleen des glorioles de la mercatique des 90’s aux glory-holes du marketing des années 2000, il décide donc de mettre les voiles en 2010 pour se consacrer au fatalisme.
De trempe serbe, ostenter ses faiblesses ouvre alors en lui une brèche inextinguible. L’inconfort d’assumer ses fétichismes et d’en dévoiler l’échancrure le gagne à mesure qu’il se perd dans l’exercice. Les commandes n’affluent pourtant guère, mais il continue de jouer le JE pour rester de la partie. Une bohème comme hygiène de vie dont l’émancipation quotidienne s’inscrit à travers toutes ses photographies, mettant en exergue une nette affirmation de l’être et de tout son verbe.
En résulte une violence sourde de personnages aphones, sombres et parfois résignés mais dans les yeux desquels vibre une présence qui ne les place jamais en position de victime. Une recherche de l’entre-deux, de cet interstice fumeux pile entre éveil et léthargie, ni sobre ni ivre, de façon à donner à gratter du cil une fêlure ; le calme aux prémisses de l’ouragan, le tonnerre qui protège une péninsule, le geste libre qui dit non ou la posture ferme qui signifie de toutes ses pores un oui grandiloquent. Avec toujours assez de pudeur pour laisser choir en silence ou parler avec le cœur parmi les profondeurs. Une conquête doublée d’un abandon.
Une œuvre décadente qui bourlingue du rococo kitsch au minimalisme japonisant selon ce que sa pensée sculpte sur le moment. Des fines bulles remontant à la surface aux parpaings largués par le fond, Patrick Strajnic dépeint avec un romantisme de légionnaire les langueurs d’une gente se mouvant vers l’ambivalence et des révérences fulgurantes aux éros d’un siècle amendé. Des beautés vénéneuses pour lesquelles le paradis semble être un enfer, ou l’enfer un paradis. En résulte le portrait d’une faune bigarrée peinant à vivre au sein d’une nature peinant à mourir. Et c’est charmant.
Au cours d’une fouille, je demandais tout de même ce qu’il faudrait que le monde retienne de tout cela. « Mon blase ? ...vous pouvez m’épeler ? » répondit-il l'œil distrait. Mais moi je n’étais pas là pour ça, je voulais déterrer des cadavres avec un orgueil magnifique et revenir du cimetière ravi de ses méfaits artistiques. Un travail de rapinade et de ripaille qu’il espère d’ailleurs poursuivre au grand jour pour laisser derrière lui une tombe gravée d’un simple STRAJNIC. Par dignité ou par flegme, mais sans fierté mal placée, hormis peut-être de ne jamais être devenu un mônsieur mais un éternel inclassé.
Jolan Thouvenot